TOSHIMICHI NOZOE
13/04/2011
Après le mail, l’interview. Nozoe san persiste et signe, le mois de mars aura été tragique pour le Japon et Fukushima se distingue comme la pire des catastrophes.
Peux-tu me décrire l’atmosphère au travail, dans ton bureau ? Qu’est ce qui a changé par rapport à la situation pré-séisme ?
Par rapport à d’habitude, personne n’a vraiment l’air en forme. Le cœur n’est pas à discuter avec les collègues et tout le monde se contente de faire son travail consciencieusement et en silence. Dans notre activité, nous aidons les victimes de catastrophes. C’est pourquoi en ce moment, la tension est particulièrement palpable. Nous consacrons nos journées à envoyer les matériaux nécessaires à la zone sinistrée. Nous sommes bien occupés.
Concrètement quels sont vos horaires de travail ?
Vu que de nombreuses répliques frappent encore la région du Kantô où je vis, nous n’avons aucun temps libre pour le moment. Je suis au bureau de 7h30 du matin à 4h de l’après-midi tous les jours. Nous avons eu à subir des coupures de courant organisées à trois reprises pour le moment. Quand ça arrive, on fait en sorte de rester à l’intérieur de nos locaux malgré le peu de lumière et on se tient prêt. Sinon on se retrouve tous à l’extérieur et on fait ce qu’on peut pour travailler.
Est-ce qu’on peut dire que l’activité économique s’est ralenti depuis le tremblement de terre ? Quels sont les signes ?
L’activité économique tourne clairement au ralenti. L’industrie du divertissement est tout particulièrement touchée. Personne n’a vraiment le cœur à s’amuser et j’ai pu voir à la télévision que les clients se faisaient rares.
Je pense que l’industrie du tourisme sera touchée de plein fouet et que les ennuis ne font que commencer pour le secteur. Je ne me fais pas de souci pour mon job, mais je pense qu’il faut s’inquiéter pour tous ceux qui travaillent dans le tourisme, pour les Ryôkan et les hôtels qui vont faire faillite.
Selon toi, combien de temps faudra-t-il pour que l’activité économique revienne à la normale ?
En surface, le Japon donnera le change rapidement. Je pense qu’il faudra une à deux années pour que les routes et les infrastructures publiques soient reconstruites. Tout le monde fera un effort et acceptera de réduire son niveau de vie afin de participer au financement de la reconstruction. Inéluctablement, le retour la normale pourra se faire rapidement. Le secteur des travaux publics prospère avec ce genre de catastrophe.
En revanche, le retour à la normale sur un plan humain prendra beaucoup plus de temps. La raison est simple, la zone touchée par la catastrophe est si étendue que le nombre de victimes et de sinistrés est incroyablement élevé. Je pense que les plus vulnérables, y compris bien sûr les personnes âgées, tous ceux qui ont tout perdu, ne se satisferont pas des compensations offertes par l’Etat.
Je pense qu’à un niveau humain, le retour à la normale prendra plus de dix ans.
Pendant ce laps de temps, la situation sera particulièrement difficile et le taux de suicide devrait augmenter.
Vu la situation et l’état de l’activité économique, penses-tu qu’il soit vraiment nécessaire pour toi de te rendre chaque jour au travail ?
C’est absolument nécessaire. Les Japonais sont ainsi faits. Le jour qui suivait le séisme, alors que les transports étaient paralysés, nombreux sont ceux qui se sont rendus au boulot à pied. Certains dormaient même au bureau et très peu sont ceux qui ont décidé de s’absenter.
Il existe un véritable sentiment de responsabilité envers notre travail.
Penses-tu qu’il serait plus sage, si c’était possible, de s’éloigner de Fukushima en quittant Tokyo ? Est que ton entreprise envisage un tel déménagement ?
En ce qui me concerne, je ne pense pas qu’il faille quitter le Kantô. Je pense qu’il est préférable pour tous ceux qui sont libres de leurs mouvements de quitter Tokyo à cause des radiations, mais je crois aussi que les gens pouvant se déplacer tout en continuant à travailler sont rares.
Les entreprises à capitaux étrangers ont rapidement organisé leur départ après le séisme, mais les entreprises japonaises et leurs employés n’ont pas ce luxe. Personne ne s’est permis d’abandonner son poste pour chercher refuge ailleurs.
Est-ce que ta famille ou tes amis se trouvent encore à Tokyo ?
Ma famille est partie se mettre à l’abri durant deux semaines à Shikoku. Personnellement, je suis resté sur place et je suis allé travailler. On a décidé ainsi parce qu’on ne savait pas vraiment ce qui se passait à la centrale.
Au moment où je te parle, tout le monde est revenu.
De nombreux étrangers travaillant dans des entreprises japonaises au Japon ont pris le parti de rentrer. Que penses-tu de cette décision ?
A partir du moment où on a un pays où se réfugier, c’est une décision propre à chacun que je tiens à respecter. Je ne perçois pas ça comme un comportement égoïste. Quand on touche à la vie des personnes, je considère que chacun à le droit de juger la situation comme il l’entend. C’est un cas de force majeur. Les familles étrangères travaillant dans la même entreprise que moi sont pour la plupart rentrées dans leur pays d’origine. De manière un peu hâtive peut être…
Je suis impressionné par la vitesse avec laquelle nombre d’étrangers se sont mis en ordre de marche et ont quitté le Japon.
Si on suit les nouvelles en France, il semblerait que la crise à Fukushima ne cesse de s’aggraver. Quel scénario imagines-tu pour la suite ? Es tu inquiet ?
Aujourd’hui encore, il est difficile d’appréhender clairement la situation à Fukushima. Je pense que le gouvernement japonais a été très lent dans sa communication. Entre le moment où le problème est survenu et le moment où nous avons été mis au courant, trop de temps s’est écoulé !
Le vrai problème avec la centrale de Fukushima est à venir. Je pense à l’agriculture, à la pêche, au tourisme ! Je suis extrêmement inquiet des conséquences futures…
Après le séisme et le Tsunami, j’ai l’impression que le Japon n’a pas été frappé par deux catastrophes mais trois. Et je pense que la centrale est la pire.
Penses tu que le Japon devrait chercher à réduire sa consommation d’énergie nucléaire dans le futur ? Quelle autre source d’énergie pourrait représenter une solution viable ?
Aujourd’hui, la part du nucléaire dans notre consommation d’énergie s’élève à 30%. Après ce qui est en train de se passer, je souhaite qu’on ne l’utilise plus. Il serait préférable que nous réduisions notre consommation d’énergie habituelle pour se stabiliser au niveau actuel, celui du temps de crise.
L’utilisation de centrale thermique me parait plus judicieuse.
Quand je pense aux problèmes qui peuvent naitre des centrales nucléaires, j’ai peur. Ce n’est pas une peur rationnelle, c’est un sentiment profond, inhabituel et angoissant.
Aujourd’hui, les Français regardent le Japon et sont particulièrement inquiets. Le nombre de centrales nucléaires en France est particulièrement important. Il faut penser collectivement à l’avenir du monde…
Il est clair que la catastrophe nucléaire est la pire. On peut reconstruire après un séisme ou/et un tsunami, mais que peut-on faire sur des terres irradiées ?
Quant à partir ou rester quand on a le choix, ce choix appartient à chacun en fonction de ses attaches, de ses racines, de l’amour de cette terre…
Le fils d’une de mes connaissances après le séisme est parti sur l’australie, depuis il est revenu à Tokyo. Elle aurait préféré que son fils s’éloigne de cette centrale nucléaire qui fuit, il a choisi de rester.