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CHRISTIAN HUGON/SALARY MAN FRANCAIS AU JAPON

7 mars 2010

 

J’ai connu Christian alors qu’il était étudiant à l’IEP de Grenoble. Il a quitté la France pour le Japon une année avant moi. C’est un peu mon Senpai et son expérience m’a sans doute aidé à franchir moi-même le pas. C’est donc en toute confiance que je lui demande de me décrire l’univers d’une grosse société japonaise. Avec quatre ans d’expérience, il a eu le temps de sentir les choses et de porter un regard avisé sur son environnement de travail.

Ce que Christian n’a pas pris le temps de préciser – le sujet ne s’y prêtant pas – c’est qu’il a su tirer avantage du secteur dans lequel évolue son entreprise pour lui-même se lancer dans la photographie. Certaines photos que vous trouverez sur ce site sont signées Christian Hugon. Rarement les plus mauvaises…

Peux-tu te présenter brièvement ? Nom/Age/Société (facultatif)/Etude/Niveau de japonais

Je m’appelle Christian, j’ai bientôt 28 ans, je travaille au siège d’un des principaux fabricants d’appareils photos japonais, au centre de R&D des appareils photos reflex numériques. J’ai  d’abord étudié à Sciences-Po Grenoble, cursus au cours duquel  j’ai pu faire un an d’étude au Japon, à Fukuoka. Cela m’a permis de découvrir le Japon et m’a donné envie de revenir pour cette fois relever le défi d’y travailler, si possible dans une société japonaise.

Dans ce but, j’ai choisi de faire un master  spécialisé dans le management franco-japonais (Université de Rennes), programme avec lequel je suis retourné au Japon et qui m’a donné l’opportunité de faire un stage de longue durée au siège de ce fabricant d appareils photos.

J ai obtenu le 1er niveau du « Japanese Language Proficiency  Test » en 2009. Mon niveau de japonais est encore loin d’être parfait, mais il est suffisant pour vivre quotidiennement au Japon sans réelle difficulté et pour travailler normalement en japonais au sein de ma division.

Depuis combien de temps travailles-tu pour une société japonaise ?

J’ai commencé par  faire un stage de 8 mois dans le service marketing des reflex numériques, avant d’être embauché à l’issue de mon stage au service d’information technique du centre de R&D des reflex numériques. Je viens d’entamer ma 3e année de contrat. Au total, je travaille depuis presque quatre ans pour cette société.

Le rythme de travail est il soutenu ?

Etant employé par une grande société et surtout, ayant eu la chance de travailler à la fois dans le secteur « administratif » et dans le secteur R&D, j’ai pu constater que la question du rythme de travail dépend beaucoup de la façon dont fonctionne chaque service. Le rythme et la longueur des journées de travail peuvent varier très sensiblement au sein de la même société.

L’image des Japonais faisant de longues journées est en général vraie. Au sein de mon entreprise, le travail commence à 8h30 et se termine officiellement à 17h avec une 1 heure de pause déjeuner, pour une journée « standard » de 7h30. Un certain nombre d’employés, en particulier les employés au statut d’intérimaire  respectent ces horaires. Néanmoins, pour les employés « normaux » en contrat à durée indéterminée, les heures supplémentaires ne sont pas rares, au moins une ou deux fois par semaine, voire tous les jours, parfois jusqu’à 20h ou 22h dans les périodes où les services  sont particulièrement  chargés.

Cependant,  il faut nuancer cette image par le fait que, dans la plupart des grandes sociétés japonaises (beaucoup plus rarement dans les PME), les heures supplémentaires sont payées. Cela permet donc dans certains cas de compléter un salaire de base qui est sinon souvent moins élevé que dans les entreprises occidentales. Les heures supplémentaires font partie de la vie mais aussi du revenu du salaryman japonais.

C’est un système dans lequel les deux parties y trouvent leur compte. L’entreprise peut compter sur les efforts des employés en période de pic d’activité, ces derniers perçoivent en retour un complément de salaire parfois non négligeable (jusqu’à 1000 euros par mois dans certains cas extrêmes). Néanmoins, pour permettre aux  employés d’avoir une vie de famille, mais aussi pour limiter le surcout que représente le paiement des heures supplémentaires, certaines sociétés les interdisent un ou deux jours dans la semaine.

Sans parler de ton statut officiel défini dans ton contrat, te sens tu traité de manière différente du fait que tu n’es pas Japonais ?

Je pense qu’une grande partie de la réponse dépend de la façon dont on se pense en tant qu’étranger au sein de la société et du niveau de japonais.

Tous mes collègues sont Japonais, mon environnement de travail est en japonais, mais ma mission comprend la production et le contrôle de la qualité des manuels  d’instructions et de documents techniques en japonais, anglais,  français et espagnol. Il y a donc  une partie de mon travail que je suis le seul à pouvoir faire, ce qui me donne une certaine autonomie. 

Néanmoins, dans le fonctionnement de mon service, je me soumets aux mêmes règles et je suis traité au quotidien par mes supérieurs de la même façon que mes collègues japonais. C’est un souhait personnel, même  si du simple fait de la différence d’expérience, ou encore de la langue, j’ai, dans certains cas, besoin que l’on m explique plus précisément certaines choses.

J’essaie de maintenir un équilibre entre me mettre sur le même plan et faire le même travail que mes collègues japonais, et apporter ma vision d’étranger qui peut être un plus dans les missions confiées à mon service. Si l’on m avait embauché pour faire exactement le même travail qu’un japonais,  un japonais ferait évidemment mieux et plus efficacement le travail demandé.

Au niveau contractuel, sous quel statut es tu employé ? Est ce un statut particulier aux étrangers ? Quelles sont les avantages et désavantages d’un tel statut ?

Dans ma société,  les étrangers sont employés avec un contrat « employé spécialisé ». C est un type de contrat qui est appliqué aussi à des employés japonais ayant des qualifications particulières, et n’est donc pas réservé exclusivement aux étrangers.

Les conditions (paiement des heures supplémentaires, d’un bonus 2 fois par an, assurance, retraite, etc.) sont les mêmes que pour les employés « normaux », mais  le contrat doit être renouvelé tous les ans, par agrément mutuel avec son supérieur. La progression salariale fait aussi appel à un système différent, et  on ne peut ni demander de mutation interne ni être promu à un poste d’encadrement. Cette absence de réelle perspective de carrière explique que souvent les employés étrangers quittent l’entreprise après un certain nombre d’années.

Te sens tu pleinement intégré à l’entreprise qui t’emploie ?

Oui, malgré les limitations décrites ci-dessus au niveau des ressources humaines et des perspectives de carrière. Au quotidien, je suis intégré au fonctionnement du service, aux réunions, etc. sur le même plan que mes collègues.

Tes collègues sont ils tous Japonais ou es tu aussi entouré d’étrangers ?

Tous mes collègues sont japonais et je suis le seul étranger à mon étage du bâtiment, mais dans les divisions environnantes il y a une vingtaine d’étrangers parmi les 5000 employés que compte le siège de la société.

Que penses-tu de l’ambiance dans ton service ? Si tu as déjà eu une expérience professionnelle en France, l’atmosphère du bureau te parait-elle différente ?

Mon travail actuel est mon premier vrai emploi, je n’ai pas d’expérience professionnelle de longue durée en France. Ceci étant, à travers les stages que j’ai pu faire lors de mes études et des discussions que j’ai parfois avec des amis travaillant dans des sociétés de taille équivalente en France,  j’ai tendance à penser que l’atmosphère n’est surement pas très différente.

Je qualifierais  l’ambiance d’extrêmement normale pour une grande entreprise, avec ses bons et mauvais cotés : amitiés, mais aussi rivalités personnelles et bruits de couloirs. Dans mon service, s’il m’est rarement arrivé de voir mes collègues individuellement  en dehors du travail le soir ou le week-end, nous allons régulièrement (5 ou 6 fois par an) manger au restaurant tous ensemble pour célébrer l’anniversaire de l’un des membres du service ou la fin d’un projet.

Le japonais est il nécessaire pour évoluer dans l’environnement de ton bureau ?

Oui, même en ayant des qualifications extrêmement pointues, je pense que le japonais est nécessaire dans l’environnement du bureau car les japonais n’ont en général qu’une connaissance assez superficielle de l’anglais. Certains comprennent très bien mais peu peuvent le parler à un niveau professionnel.

Participes-tu à la vie d’entreprise en dehors du bureau ? (sorties entre collègue/activités sportives proposées par la société…)

Oui, je fais partie du club de tennis de table de ma société et j’essaie parfois d’organiser des sorties avec mes collègues.  Faire partie du club de tennis de table est une des meilleures décisions que j ai prise car c’est là où j’ai réellement pu lier des liens d’amitié avec d’autres employés japonais. Il est difficile de devenir réellement ami avec ses collègues car les japonais ont tendance à séparer assez nettement la vie dans l’entreprise et la vie en dehors de l’entreprise. Le club de tennis de table m’a permis de m’intégrer et de créer des amitiés avec des japonais, car les services dans lesquels nous évoluons n’ont pas de lien au quotidien. Il est donc plus aisé de se réunir autour d’une passion commune.

Le management dans ton service peut-il être défini comme « japonais » ? Si oui, quelles sont les caractéristiques d’un tel management selon toi ?

Oui, le management de mon service et de la société, notamment au niveau des ressources humaines,  est « japonais ». Les entreprises japonaises elles-mêmes ainsi que les théories managériales occidentales ont été assez promptes à clamer la fin de l’emploi à vie  (Les emplois  « intérimaires » représentent  aujourd’hui autour d’un tiers de la population active japonaise et ce sont ces employés plus précaires qui ont fait les frais de la crise économique). Cependant, pour les grandes sociétés, ce principe est encore la norme en pratique. Une fois entrés dans une grande société comme employé « normal », à durée indéterminée, après leurs études, les employés japonais changent rarement d’entreprise. C’est d’ailleurs assez mal vu de changer d’emploi plus d’une ou deux fois dans une carrière.

Les entreprises japonaises sont conscientes de leur rôle social. Elles sont aussi des marqueurs de statut social individuel (tout comme le prestige de l’université). Pour ces raisons, licencier une personne sous-performante n est souvent pas une option.

Par conséquent, un employé en contrat à durée indéterminée n’a aucune de raison de craindre pour son emploi, et la pression vient plutôt de la compétition interne pour  essayer de se distinguer et, si possible,  progresser un peu plus vite que les autres dans la hiérarchie. L’avancement reste en partie lié à l’âge et à l’ancienneté mais, à expérience égale, les différences de carrière peuvent être marquées. Les employés au meilleur potentiel, parfois après de longues années d’attente, se voient offrir des postes plus intéressants et une carrière plus prestigieuse.

Est-il difficile pour un étranger de s’acclimater au mode de fonctionnement d’une entreprise japonaise ?

Là aussi, tout dépend du niveau de japonais et du travail demandé je pense.  Dans mon cas j’ai la chance d’avoir un travail me laissant une certaine autonomie et surtout un manager et des collègues très compréhensifs, qui apprécient mon travail et mon rôle dans l’équipe. J’ai  fait des efforts d’intégration au début, pour progresser en japonais, et surtout pour comprendre le fonctionnement et les différents aspects du travail du service. Si le manager est ouvert à la présence d’un étranger dans son équipe et qu’en retour la motivation pour s’adapter est là, que l’on reste positif, l’intégration ne pose pas vraiment de problème.

Ce serait sûrement plus difficile si mon travail était exactement le même que celui d’un japonais car dans ce cas la comparaison serait directe et du fait des difficultés et des lenteurs liées à la langue, elle ne pourrait être que défavorable.

Par ailleurs, comme le management d’une entreprise japonaise est très différent d’une entreprise occidentale, il faut aussi faire attention à ne pas avoir d’attentes démesurées, notamment au niveau des responsabilités  ou des projets que l’on se voit confier. Les projets sont très rarement menés de façon individuelle et les taches tout comme les responsabilités sont en général reparties entre plusieurs membres du service ou même coordonnées entre plusieurs services.

La présence d’un étranger dans un service peut-elle engendrer un malaise chez ses collègues japonais ?

Non, je ne pense pas que le fait d’être étranger, en tant que tel, puisse créer un malaise. Les japonais sont, en général, assez accueillants, voire curieux, au moins au premier abord. Néanmoins, tout dépend du niveau de japonais et de la volonté de s’adapter à l’environnement et à la façon de faire des japonais.

Que penses-tu avoir gagné de ton expérience au sein d’une entreprise japonaise ?

En travaillant au Japon et dans une entreprise japonaise,  je pense avant tout avoir gagné une expérience en tant que telle, non seulement une expérience professionnelle mais aussi une expérience humaine, mais il est un peu difficile de faire le point alors que je suis encore au Japon.

Au niveau professionnel, au delà des connaissances et du savoir-faire technique et photographique acquis, la capacité d’adaptation à des environnements de travail particuliers, à des taches variées, et surtout une compréhension profonde de la façon de fonctionner d’une entreprise japonaise sont surement des atouts qui m’aideront à m’adapter, quelque soit la société ou le pays dans lesquels je poursuivrai ma carrière dans le futur.

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